samedi 2 mai 2009

langage

- Hey madame, c’était dans l’âme, la perm tout à l’heure hein ??
— De quoi ? Quelle perm ?
— Bah la perm, tout à l'heure !
— Ce matin ?

Elle reprend, l’air de dire que, décidément, je ne comprends rien à rien.

— La perm tout à l’heure, c’était bien, tu trouves pas ? Quand on était dans le bureau…
— Ah ! Dans le bureau… Oui… C’était vraiment dans l’âme, cette perm…

Les filles gloussent. Il y a des mots réservés aux – de 16 ans, et j’ai du mal à m’empêcher de les reprendre.

J’ai toujours appris à m’adapter aux langages de mes interlocuteurs. Parler en ayant l’air sérieux devant les profs, inventer des mots farfelus avec mes copains et reprendre le langage « jeun’s », et un mélange des deux devant les parents. Reprendre les mots « chocs » des militants pour militer, ne parler que d’octets, de ram et de wifi avec mon père, ou de sessions à la jambe, de reprise et de PTV avec mes amis cavalières. Je parle le langage que comprend celui qui me parle, quoi de plus normal ?

Mais là, je dois apprendre à leur faire parler le langage des grands, à ce qu’ils entendent un francais correct jusqu’à ce qu’ils le répètent à leur tour. Malheureusement, c’est chaud, déjà parce que je parle vite, et que mes mots sortent toujours avant que j’aie eu le temps de les « relire ». Mais je pense que si l’on veut inciter tous ces jeunes à « parler notre langue », on ne peut qu’accepter de connaitre la leur. Tout le monde a toujours dit que les ados avaient besoin de leur dialecte, un code secret qui les maintiendrait à l’abri des adultes. Maintenant, le rythme de parole, l’accentuation des mots, tout est modifié, et je me souviens encore de la sortie de séance de « L’esquive » où l’on entendait les gens, tout autour, dire qu’ils n’avaient pas tout compris, qu’il aurait fallu des sous-titres, que « c’est fou comme les jeunes causent, aujourd'hui ».

Les jeunes ne savent peut-être plus parler français, mais ils sont conscients qu’ils ne le savent pas. Quand je reprends leurs propres mots (voir ci-dessus), ils gloussent, sont mi-gênés, mi-épatés. Il y a des mots qui ne sont pas pour les grands, et ils le savent pertinemment. Quand les gamins font des fautes d’orthographe et que je leur montre, ils retrouvent rapidement l’orthographe exacte. Il y a des fautes, ils le savent, mais à quoi bon ? On comprend quand même, ça ne change rien au sens, et eux, de toute façon, eux ils savent bien ce qu’ils ont écrit.
Alors, je fais parfois mîne de ne pas comprendre, de ne pas savoir ce que ça veut dire. J’aime qu’ils m’expliquent le sens des mots, de leurs mots. Et eux, ça les fait marrer. Des fois, je dis, « Ah, ça vient peut-être de cette expression, non ? » Ils n’en savent rien, les mots sont là, c’est tout, ils leur rappellent qu’eux tous sont ensemble, qu’ils ont une identité rien qu’à eux, entre les parents à la maison qui parfois ne parlent pas bien francais, et le collège où il faut utiliser des mots de grands, mais on ne le fait pas quand même.

Moi je les comprends, ces petits, parce que j’ai encore mes journaux intimes de 5e, et qu’à la fin, j’avais fait une annexe où j’expliquais tous les mots qu’on utilisait à l’époque, les mots rien qu’à nous, pour pouvoir un jour me comprendre moi-même si je retombais sur ces cahiers, trop vieille pour me souvenir.

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