samedi 2 mai 2009

Vendredi 19 Octobre 2007

Je tiens les deux perms de fin de journée, le vendredi, soit un mélange de collés, d'exclus de cours et de gamins paumés qui voulaient aller au foyer mais avaient encore oublié que c'est fermé, le vendredi aprèm.

Alors c'est pas facile, ils en veulent à la terre entière d'être coincés au collège alors qu'il fait siiii beau dehors, et te le font payer à toi, pauvre pionne à la dérive.

De 15h30 à 16h30, j'ai cru que je ne m'en sortirais pas. Une classe de 5ème était là aussi, car un prof était absent, et j'ai eu de la chance qu'un prof les prenne en soutien scolaire.

Ensuite, Medhi, le 4ème qui avait traité Antoine de trépané, m'a montré qu'il s'était documenté à ce sujet. Quand il a traité un de ses camarades comme ça, je lui dis : "chuuut, Medhi, tu as déjà eu des problèmes comme ça, tu va pas recommencer... Tu sais même pas ce que c'est"

"Si si, c'est des fous à qui on fait ça" et il me montre un geste vague en direction de la tête.

J'ai aussi eu des précisions au sujet de l'expression "C'est dans l'âme".

Medhi me parle d'une ancienne surveillante : "Nan, vraiment, elle était trop dans l'âme"

"Elle était vraiment si belle que ça???" Je lui répond, un sourire en coin

"Maaiiis non, t'es folle toi j'ai pas dit ça !!! "

Et il m'explique que c'est dans l'âme, ça veut dire bien, cool, beau, chouette, et plein de choses encore. "Mais que dans l'positif hein" !

Un peu plus tard, il fait des exercices d'allemand, et me dit qu'il comprend tout.

"Cool ça, tu pourrais être interprète!"

"Ah ouais, ch'serais interprète de la langue des trépanés, enfin tu vois quoi, les mots que vous comprenez pas"

Bonne idée, Medhi, mais pour ça, il va falloir que tu cherches à comprendre les mots que nous on comprend et que toi non...

A côté de lui, Yannis n'en fait qu'à sa tête. Pendant ses deux heures de colle, il se tourne, gigote, rigole, et je passe mon temps à le reprendre. Au bout d'un moment, il me dit :

- Toi, tu n'as aucun ordre sur moi...

Je fais semblant de ne pas avoir compris (mais pense, en même temps "merci, Yannis, de me remonter le moral en cette dure journée du vendredi... et de me donner confiance en mon autorité naturelle") et lui dis

- Aucun ordre?

- Oui, hummmm... Aucune influence en fait. Par exemple tu me dis de m'asseoir et moi je prend mon temps alors que si c'est le CPE je le fais vite. Tu vois ce que je veux dire?

Je secoue la tête...

- Ben je ne cherche pas à avoir d'influence sur toi, Yannis ! C'est pas mon rôle quoi.

Ceux de la perm écoutent, intrigués. Je les entends chercher le mot qu'il faut pour que je comprenne.

C'est Sarah qui va trouver, lançant fièrement :

-C'est l'autorité qu'on dit, Yannis, t'es trop nul !

Sa grande sœur est collée en même temps que lui et il se retourne souvent : "Soso? Soso, ça fait combien 8X6 déjà?"

Les autres rient.

-Oh mais pourquoi tu l'appelles Soso???

Le gamin rougit, son copain fanfaronne "C'est sa mère qui l'appelle comme ça, et son frère aussi il l'appelle Soso!"

Bouh la honte...

Pendant les deux heures où je fais perm, il y a un "CLAC" qui est dans la salle et ne bronche pas, plongé dans un bouquin de maths. Un exclu le fait remarquer :

"Oh lui il est là depuis 8h du matin, et il en est toujours à la même page de son livre".

Tout le monde veut savoir pourquoi, et lui dit qu'il est bête mais coup de chance, le gamin ne semble pas parler français. Gloussements, piaillements, et ricanements dans la salle.

Je gueule un coup :

"Oh, on se calme, il a le droit de bosser, et je crois que ça vous ferait pas de mal de suivre son exemple un peu, non mais dit oh!"

Dans le métro, à ma correspondance, je croise Ghozy (qui se prononce Rosie), une toute petite 6ème au visage rond avec de grands yeux tristes et bleus. Un jour, elle m'avait dit à la fin d'une toute petite voix :

- Demain, je vais être absente, parce que je vais voir le docteur...

- Il faut que tu demandes à ta maman de t'écrire un mot dans ton carnet pour expliquer.

Je prends son carnet, et lui montre les billets d'absences "Et il faut qu'elle remplisse ça, aussi"

Je repars aussi sec, c'est la récré et mon travail est celui du chien de berger : tenter de regrouper les élèves éparpillés pour en faire des sortes de tas plus communément appelés "rangs". Quelque chose me tire le manteau, je me retourne et vois la toute petite Ghozy qui semble embêtée.

- Ma maman, elle sait pas lire....

Oh. J'avais oublié qu'on pouvait ne pas savoir lire, et tout d'un coup, beaucoup de choses s'éclairent dans ma tête : les signatures brouillonnes et mal assurées, les parents qu'on appelle quand leurs gamins sont trop absents et qui ne sont au courant de rien.

Je me penche un peu vers elle et lui dit d'une voix plus douce

- Alors demain, tu demandes au docteur de t'écrire un mot, d'accord? Un certificat médical.

Elle hoche la tête d'un air entendu et disparait, me laissant à mes pensées sombres.

Bref. Je la croise tout à l'heure, et, dès qu'elle m'aperçoit, elle me salue de la main, un vrai salut avec le poignet qui bouge. Elle me fait un immense et magnifique sourire.

Nous sommes à Charpennes, et je suis une star.

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